Mon bento qui pue
Certes, un bento est censé être empli de plats kawaii que l'on déguste délicatement avec des baguettes ou une petite fourchette. Mais là, je viens de terminer le dernier roman de Natsuo Kirino, Le Vrai Monde, et j'avais envie, pour me remettre, d'une nourriture roborative, d'aliments à la présence forte, et notamment olfactive.
Le bento qui pue
Pour débuter, une salade de pommes de terre avec des lamelles de filets de maquereau fumé (et quel fumet !). Les pommes de terre sont cuites en dés à la vapeur puis parfumées d'une vinaigrette relevée de persil et d'échalotes crues hachées (pour que mon haleine après le repas soit au diapason du bento qui pue).
Ensuite, des choux de Bruxelles cuits à l'eau puis rafraîchis et roulés dans un mélange de carvi en poudre et d'ail passé au presse-ail.
J'ai terminé par du fromage du Nord haut en saveur ... et en odeur ! Me connaissant, vous vous attendiez sans doute à du Maroilles. Pffff, trop facile. J'ai plutôt choisi de la boulette d'Avesnes et du Vieux-Lille au caractère bien plus affirmé.
La boulette d'Avesnes vient, comme son nom l'indique, d'Avesnes-sur-Helpe. Il s'agit de miettes de Maroilles malaxées avec du poivre et de l'estragon, modelées en cônes roulés dans du paprika bien amer.
Quant au Vieux-Lille, c'est au départ la même pâte que le Maroilles mais passée en saumure. Il en ressort gluant, avec une couleur qui lui vaut son autre nom de Gris de Lille. Sans compter un goût et un parfum vraiment unique qui fait qu'on l'appelle aussi Puant de Lille. Tout un programme... Restant malgré tout raisonnable, je l'ai mis nature dans mon bento. Et non pas mariné dans la bière brune.
Si jamais vous venait l'envie de vous lancer dans ce style de bento, je vous déconseille le choix d'un contenant en plastique qui garde les odeurs mais plutôt en inox, ou autre métal. Et en accompagnement, un thé corsé comme le Lapsang Souchong, ce délicieux thé fumé, sera le bienvenu.
Pour en revenir au roman qui m'a inspiré ce bento, il s'agit du dernier Natsuo Kirino, paru cette année.
J'avais déjà lu Out et Monstrueux, des pavés dégoulinant d'hectolitres de sang humain. Bref, à ne pas mettre entre toutes les mains. Avec Le Vrai Monde, beaucoup plus court, l'auteur change de style. Le roman débute, certes, par un petit meurtre mais c'est surtout l'occasion de faire témoigner tour à tour cinq lycéens japonais de 17 ans sur leurs difficultés à se construire dans le monde des adultes, le vrai monde, avec des parents absents ou à côté de la plaque. Pauvres gosses... Plus qu'un thriller, Le Vrai Monde est plutôt un roman noir avec une violence psychologique autrement plus ardue, ma foi, à supporter que les torrents d'hémoglobine des romans précédents.
D'accord, la France n'est pas le Japon mais n'en prend-elle pas le chemin ? Quelle est aujourd'hui la vie des jeunes d'ici, leur avenir ? Bref, même si je ne sais pas de quoi mon futur sera fait, je n'ai aucun regret de n'avoir plus vingt ans depuis longtemps. Surtout quand je peux oublier le vrai monde grâce à un bento qui pue.